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7 janvier 2015 : trois réflexions sur le terrorisme et le soi-disant islamisme

7 février 2015

Jihad, centrale du crime ou épicentre d’une nouvelle pandémie ? Une réponse en sept points

 

1/ Quelques milliers de jeunes gens en Europe se prépareraient au pseudo « jihad », et tout le monde s’en alarme – à tort !  Nous devrions être beaucoup plus pragmatique : s’ils veulent partir qu’ils partent – ce sera autant de fous criminels  en puissance que nous n’aurons pas à surveiller sur le territoire !  Et, comme en Irak ou en Syrie,  ils vont agresser  les tréfonds de notre civilisation et défier le sens commun de la plus grande partie du monde, qu’ils restent donc chez les égorgeurs,  imprécateurs et  assassins ! Et  que s’ils veulent  revenir, que ce soit avec des garanties de « guérison » indubitables et, qu’en tous les cas, on les mette en « quarantaine » aussi longtemps qu’il le faudra. Toutes les discussions sur l’indignité nationale et tutti quanti sont évidemment hors de propos !

 Si l’envie nous restait, par égard à leurs familles souvent consternées, de tenter de dissuader ceux qui sont sur le départ pour le pays des égorgeurs : qu’on leur mette la main dessus et qu’on leur fasse bien regarder tous les documents vidéos déclarations en tous genres etc... qui font état des horreur perpétrées par les fous furieux de Boko-Aram, du soi-disant Etat islamique voire par les hordes talibanesques révolvérisant, au milieu de stades remplis d’abrutis à la mine réjouie, de pauvres femmes accusées d’adultère ou de pauvres types voire des enfants en train de se faire écraser le bras ou couper la main sous le prétexte de menus larcins (le 12 janvier dernier, les dignes serviteurs criminels de l’Etat islamique  ont massacré en place publique, devant leurs parents, douze enfants coupables d’avoir regardé un match de foot à la télévision…).  Et surtout que l’authenticité de ces preuves soit indiscutable ! Mais même à ce prix, il n’est pas si certain qu’on les amène à résipiscence !

Ces propos sembleront virulents voire insupportables à certains. Que ces derniers se disent bien que hormis cas exceptionnels, dans nos pays, les candidats au jihad ne sont plus des enfants. Ils ont « l’âge de raison », donc l’âge de savoir qu’ils optent pour associer leur destin à des criminels archaïques qui n’ont aucune considération ni pour les femmes ni pour les enfants ni pour quiconque (la plus grande parie de l’humanité) qui ne partagerait pas leur paranoïa destructrice. Ce sont ces criminels à peine imaginables qui au début du mois de janvier 2015 sont allés jusqu’à brûler vif un homme enfermé dans une cage. Ils ne méritent de notre part que les garanties offertes par la loi même aux assassins les plus répugnants : c’est la grandeur de notre société. Mais que ceux qui ont le désir de les rejoindre DONC QUI APPROUVENT LEURS FORFAITS ne nous demandent pas en plus de la commisération ! A moins qu’ils ne s’agissent de victimes d’une pandémie – hypothèse qui sera explorée plus loin mais qui, en tout état de cause, ne les exonèrerait  pas de toute responsabilité si elle était corroborée.

2/ Le mot jihad, utilisé ad nauseam par les commentateurs de tous poils à propos de ces pitoyables aventures, est d’ailleurs fort mal venu. En arabe classique, jihad veut dire simplement effort – quel que soit la nature de cet effort. Ce mot n’est donc pas du ressort exclusif de la théologie comme certains l’ont prétendu. Ce n’est que par extension que le jihad va prendre un sens religieux, avec trois acceptions différentes. Au premier sens, le mot  désigne l’effort qu’on doit produire pour devenir meilleur et contribuer à l’amélioration de la société. Au deuxième, l’effort d’interprétation de la parole de Dieu – le mot ijtihad (interprétation) est d’ailleurs  construit sur le mot jihad (effort).  Au troisième, le combat au sens guerrier qu’il faut mener pour défendre l’islam (dar-islam, la maison de l’islam) s’il est attaqué. Ce combat obéit  à des règles précises : il proscrit toute effusion de sang inutile ainsi que la sauvegarde  des populations non combattantes. Au sens guerrier du terme, le jihad  est donc défensif – même un radical comme Zawahiri, devenu à la mort de Ben Laden le leader-penseur d’Al-Qaida, le  reconnaît.  La question évidemment est de savoir ce qu’est ou n’est pas une guerre défensive. Pour les extrémistes, l’islam est attaqué de l’intérieur par les mauvais musulmans (le plus gros des populations musulmanes à leurs yeux !),  et de l’extérieur « par les juifs et les croisés ». Tuer et assassiner les uns et les autres est donc non seulement permis mais encouragé (une interprétation obscurantiste de la sourate IX, celle du «sabre », peut aller dans ce sens inepte).

 La limite asymptotique de cette conception de la guerre « défensive » revient à éliminer ou à terroriser une bonne partie de l’humanité !

Autant dire que tous ceux qui de près ou de loin adhèrent aux thèses éradicatrices de Daesh, de Boko Aram voire d’Al Qaïda et de ses satellites sont des ennemis  de l’humanité qui,  en tant que tels,  doivent être pourchassés et combattus, où que ce soit et autant qu’il est possible. Que ne connaissent-ils dans leur pitoyable ignorance Salah – Al dînh – un guerrier  pieux et généreux, défenseur de l’islam contre les croisés, qui laissera la vie sauve (ce qui n’était guère dans l’air du temps), à tous les habitants de Jérusalem qui pourront partir avec leurs biens…

Au passage, que les petits délinquants, subitement retournés et candidats, parmi d’autres au pseudo « jihad », trouvent certainement  légitime qu’on coupe la main voire le pied des petits voleurs, est à proprement parler stupéfiant : sous la férule de leurs nouveaux mentors, avant leur « conversion », on ne leur eut laissé probablement ni mains ni pieds et peut-être même pas la vie ! Encore que le syllogisme sous-jacent de cette remarque ne leur saute peut-être pas aux yeux : ceux qui sont empêtrés dans une croyance par imprégnation émotive ne sont pas prêts d’en sortir, encore moins quand ils souffrent d’une intelligence médiocre (peu stimulée par une école dont bien souvent ils n’ont pas su reconnaître l’intérêt, quand bien même cette dernière eut-elle des défauts). Toute nouvelle preuve contraire à l’encontre de cette croyance est jugée mensongère voire diabolique et ne fait que la renforcer.

3/ Pourquoi maintenant  cette manie chez nombre de jeunes gens  d’origines si différentes de rejoindre les égorgeurs ? On  a le devoir de se poser la question, encore que la ou les réponses ne constituent guère de véritables guides de prévention.

Premier constat : ce n’est pas la première fois que des gamins sans rimes ni raisons s’assemblent dieu sait pourquoi et comment  en vue d’une entreprise mythique quoique scélérate. Internet n’existait pas, quand au XIVe siècle des milliers d’enfants, les « Pastoureaux », enflammés par les prêches incendiaires de clercs dévoyés, sous prétexte de combattre les infidèles (musulmans), convergent de toutes parts, et vont perpétrer massacres, pillages et pogroms  à l’encontre des Juifs ; ils seront fermement condamnés par le pape, et finalement écrasés par deux armées royales aux portes d’Albi. En 1320, les derniers « Pastoureaux » à la traîne seront pendus….

 Deuxième constat : cette aventure criminelle perpétrée par des adolescents  ressemble à ce que nous connaissons aujourd’hui : d’un côté, cervelles faiblardes et esprits incultes faciles à entraîner  sur les pires chemins, et  jeunes esprits, plus distingués, en quête d’idéal ou d’aventures ; de l’autre, clercs extrémistes mauvais bergers, et autorités religieuses « orthodoxes » qui les condamnent. Bref, tout y est ou presque, et d’abord cette sorte de radicalisme enragé  qui fait florès sur les réseaux sociaux et prétend purifier l’islam de ses apostats (murtads),  éradiquer la planète  « des croisés et des juifs »,  le monde entier de ses turpitudes, et finalement, à n’importe quel prix, établir le royaume de Dieu sur terre.

Remarque de poids : nous sommes tentés d’imaginer les banlieues françaises en guerre larvée (en attendant mieux !) contre  un pays qui serait honni par la plupart de ses habitants post immigrés. Il y a du vrai dans cette vision qui reste cependant très parcellaire pour de multiples raisons dont l’une est essentielle : ces pseudos ghettos n’en sont pas parce que le taux de rotation des populations des fameux quartiers est à peu près le même que celui des autres territoires. Les jeunes femmes et jeunes hommes de ces quartiers les quittent dès qu’ils le peuvent, autrement dit dès qu’ils ont réussi leur parcours scolaire (la proximité de bonnes universités leur facilite la tâche) : ce sont eux qu’on retrouve dans les affaires, dans les prétoires, dans les laboratoires, dans les galeries d’art, sur les écrans de cinéma ou de la télévision, sur les scènes de théâtre... Bref, ils réussissent un peu partout et d’autant mieux qu’ils sont pluriculturels, donc préparés à la mondialisation. Leur réussite est néanmoins silencieuse ou presque, alors que l’échec des ratés du système, pour l’instant minoritaires, fait un vacarme disproportionné qui porte injustement préjudice à tous les musulmans et à tous les immigrés de ce pays. Les médias, du moins certains d’entre eux, relaient et amplifient ce tohu-bohu en ressassant avec un bien faible discernement le  soi-disant échec de l’intégration – rumination qui alimente bien entendu les thèses de l’extrême droite.

4/ En Occident, des intellectuels de tous bords, d’ailleurs peu souvent au fait de l’islam, s’envoient à la figure des  versets du coran  en apparence contradictoires. L’enjeu étant de savoir, à les entendre,  si l’islam est « soluble » dans la démocratie, et surtout si le « vrai »  islam est celui qui cautionne les horreurs de Boko-Aram ou du pseudo Etat islamique, ou celui qui les condamne.   En dehors du fait que sortis de leur contexte qui est au premier chef celui du coran dans sa totalité ces versets n’ont que peu ou pas de sens,  ceux qui se posent ces questions sont en dehors de la réalité. S’ils étaient conscients de la réalité, ils ne demanderaient pas aux musulmans de tous les jours  de condamner les éradicateurs ni aux imams de dissuader les jeunes gens de partir (encore que certains imams auto proclamés soient de vrais dangers publics à neutraliser le plus vite possible !) - tout simplement parce que ces éradicateurs ne relèvent pas de la religion mais de la sociologie de la santé !  

On remarquera que si la compréhension de tel ou tel verset du coran exige beaucoup de science philologique et une longue pratique de l’herméneutique, la plupart des prédicateurs extrémistes devraient être renvoyés in petto à de vraies études (et d’abord sur les bancs de l’école !), et non à quelques opinions d’ulémas souvent à peine moins ignares qu’eux… mais c’est encore une autre histoire !

En attendant, quelle est donc cette réalité ? Nous sommes confrontés à une nouvelle pandémie  bien pire que celle d’Ebola ou du Sida  : elle transforme en criminels ceux qui sont sensibles aux discours pernicieux proférés par ceux-là même qui sont déjà atteints. Ils deviennent à leur tour des pestiférés, ou si l’on veut des drogués  capables d’utiliser les technologies les plus avancées pour réaliser leurs desseins  criminels – lesquels  n’ont de religieux que  des apparences trompeuses (toutes les autorités sunnites les condamnent, et les chi’ites les combattent).

Il est vital de savoir que nous ne sommes  confrontés ni  à une guerre de religion ni à une guerre de civilisations, mais à une menace d’une toute autre nature. L’humanité est confrontée à une nouvelle peste de nature mentale  qu’elle doit combattre avec d’autant plus courage, de détermination et d’intelligence que ses propres enfants risquent d’être contaminés, et que cette peste  annihile le sens critique de ceux qui sont atteints. C’est bien pourquoi, il  est  vain, ou peu s’en faut, de tenter de les convaincre. Nous  ne sommes pas dans la théologie mais dans l’épidémiologie -  et si tel est le cas on ne voit pas bien, en effet, comment on pourrait adjurer un pestiféré de sortir de sa peste !

5/ En épidémiologie, il est le plus souvent nécessaire de comprendre le processus qui a  conduit à une épidémie a fortiori une  pandémie. Pour ce ce qui concerne l’idéologie éradicatrice, qui a suscité l’apparition d’une nouvelle secte des assassins, le facteur déclenchant fut le wahhabisme. Parti des déserts de l’Arabie au XVIIIe siècle, combattu par les Ottomans, mais revigoré par les Saoud - enrichis par le pétrole et protégés  par les Etats Unis -, ce virus s’est diffusé lentement mais surement de par le monde. Dès les années 1980, on trouvait des ouvrages et des cassettes d’inspiration wahhabite (mais aussi des Frères musulmans) sur les marchés de toutes grandes villes du Maghreb, du Sahel, de Malaisie et d’Indonésie…

 A l’origine, il n’était pas question de violences, mais d’un piétisme de plus en plus vétilleux  prétendument inspiré de l’islam des origines (salafisme) : progressivement on a vu les femmes se voiler dans le monde musulman, refuser de tendre la main aux hommes (et réciproquement),  de s’afficher en tenue traditionnelle etc…  Cette idéologie rigoriste, peu soucieuse de vraie spiritualité, superficielle parce qu’entichée d’apparences, s’est bardée progressivement de pratiques sectaires,  d’interdits multiples et évidemment du souci de faire respecter ces derniers si nécessaire par la force.   

On connaît la suite : le 11 septembre conduit Bush et les néoconservateurs  à ce désastre que fut la troisième guerre du Golf (2003), et surtout, après  la victoire, le licenciement de l’armée irakienne… Sans compter auparavant cet autre séisme que fut la révolution iranienne (1979) et ses ondes manifestes sur l’ensemble du monde musulman soucieux de revanche et d’émancipation des influences occidentales. Les rigorismes  de tous acabits, celui des wahhabites, mais aussi celui concurrent des Frères musulmans et de l’Iran des mollahs qui s’en inspira,  vont prospérer  plus que jamais sur les ruines et les massacres – encore qu’à cette époque  le faible niveau d’éducation et donc de sens critique des populations arabo musulmanes n’y ait pas été probablement pour peu.  Sous prétexte de revenir à l’authenticité, les pratiques les plus rétrogrades et barbares comme la lapidation ou des amputations vont être jetées à la face  de l’Occident  de plus en plus considéré comme l’ennemi principal, avec en toile de fond les plaies mal refermées de la colonisation… 

Un tournant va s’opérer à partir duquel la religion, et sans doute la politique, passent au second plan. Avec l’insurrection syrienne contre le régime honni de Bachar el Assad, les criminels les plus endurcis venus de tous les horizons vont l’emporter sur les authentiques  révolutionnaires : c’est l’avènement du trop fameux Daesh, vis-à-vis duquel même Al-Qaïda semble prendre quelque distance, et a fortiori l’Arabie Saoudite qui commence à prendre peur – à jouer avec des allumettes chez ses voisins, on finit par mettre le feu chez soi ! L’Iran, enclin à soutenir Bachar el-Assad pour des raisons religieuses mais aussi géopolitiques, se méfie lui aussi  de Daesh qui s’en prend à l’Irak chi’ite au point de le mettre en péril… 

6/ Bref,  wahhabites et salafistes ont cautionné une orthodoxie piétiste de plus en plus inquisitoriale et donc d’une certaine façon totalitaire. Comme toutes les idéologies totalitaires elle finit par déclarer la guerre à tous ceux qu’elles jugent impies (l’Algérie a été la première entre 1990 et 2000 à faire les frais de cette furia : 100 000 victimes environ) : la terreur  est le mode de gouvernement des régimes totalitaires, théocratiques ou non…  Guerres et massacres au Moyen orient vont exacerber les positions des extrémistes et attirer des criminels du monde entier qui vont mener une véritable guerre d’extermination aux « mauvais » musulmans (les chi’ites), et à tous ceux qui vivent dans la gentilité (les chrétiens, les juifs et les « apostats » sunnites). De fil en aiguille, ces enragés (qui de facto ne sont plus dans quelque religion que ce soit) finissent pas s’en prendre à tous ceux qui ne « pensent » pas comme eux, autrement dit la plus grande partie de l’humanité. Totalement dépourvus de compassion, endoctrinés jusqu’à devenir de véritables machines du crime, il faut les considérer comme les victimes et, en même temps, les agents actifs d’une pandémie dévastatrice - l’une des plus dangereuses que nous ayons connues depuis plus de soixante dix ans, pour laquelle probablement, il n’existera jamais quelque traitement où vaccin que ce soit. Dans l’immédiat, la seule arme à leur encontre (hélas) : la neutralisation ou l’isolement. Encore faut-il le savoir.

A un horizon plus éloigné, une éducation intelligente, critique, et généreuse des jeunes enfants serait la vraie prévention de l’extrémisme. D’ici-là, tenter de substituer à l’idéologie de l’éradication celle de la lutte pacifique contre les injustices du monde et pour une survie heureuse de notre humanité serait sans doute la meilleure stratégie dans le fond et la forme. Aux furieux,  la raison critique est quasi hors d’atteinte : on ne peut répondre à une passion, fût-elle corrosive, que par une autre de nature différente, mais malheureusement sans garantie de succès.

7/ Quant à l’idée de réformer l’islam comme le souhaitent certains intellectuels musulmans, elle est très certainement généreuse, mais manque sa cible pour au moins trois raisons. Première raison : l’islam ne jouit d’aucune centralité du magister ou du dogme (les avis d’Al-Azhar comptent dans le monde sunnite, mais n’ont aucun caractère contraignant – Al-Ahzar condamne d’ailleurs haut et fort les agissements de Daesh). Chaque croyant est renvoyé comme autrefois les Réformés en Europe à son interprétation, ou plus précisément à celle de sa « communauté », ou encore à celle d’un savant ou d’un maître en piété dont la « science » en religion est souvent problématique. La réforme ne pourrait venir que d’un quasi schisme mené par des « dissidents éclairés ». Deuxième raison : les égorgeurs ne sont même plus dans l’interprétation de quoi que ce soit : ils sont dans une sorte de paranoïa collective, en quête d’une vague légitimation-alibi religieuse de leurs forfaits. Troisième raison : on a la pratique de la religion qu’on mérite : la question est moins de réformer l’islam que les musulmans et les sociétés politiques dans lesquelles évolue la majorité d’entre eux. 

Les signes du changement, en dépit des turbulences, ne peuvent être niés, mais deux sont fondamentaux. Dans la plupart des pays musulmans, la presque totalité des enfants est aujourd’hui scolarisée, au moins au niveau primaire. La baisse rapide de la fécondité dans  les mêmes pays est très probablement le signe d’une modification des relations hommes femmes, qui elle-même préfigure certainement des changements sociopolitiques majeurs. Les révolutions arabes, auraient-elles échoué pour l’instant (hormis la Tunisie), sont annonciatrices de l’entrée de ces sociétés dans une modernité que les philosophes de la falsafa ont contribué à élaborer entre le IXe et le XIVe siècle. C’est bien pourquoi les ennemis de la modernité et de la liberté redoublent de violence : les moins obtus savent bien au fond d’eux-mêmes  que leur combat criminel est sans issue, ce qui décuple leur exaspération, leur fureur et leur  barbarie.

 L’islam redeviendra un islam des Lumières lorsque ses penseurs, ses artistes et ses intellectuels seront au plus haut niveau. Que leur légitimation résidera, non dans une aura de superstition et de violence, mais dans la reconnaissance de leurs œuvres par la communauté internationale  – que ce soit celles de la science, des arts, des techniques, de la politique ou de la littérature. Tout laisse penser en dépit d’apparences fâcheuses qu’on n’en est pas si loin. Il suffit de lire le nom des auteurs des livres, des essais, des films, des manifestations artistiques en vue dans les pays de libre expression pour qu’on commence à s’en persuader.

Philippe Engelhard

Docteur en économie, enseignant chercheur et consultant. Mes premiers centres d’intérêt ont été les mathématiques, la philosophie, l’histoire puis la théorie économique. J'ai enseigné l’économie et la finance à l’Université de Dakar et à l’Université du Maine, et coordonné pendant plusieurs années les programmes et les recherches d’une ONG internationale liée aux Nations Unies. Mes recherches ont porté à l’origine sur l’analyse financière, la théorie monétaire et l’épistémologie. Je me suis plus particulièrement attaché depuis vingt ans aux problèmes de développement, à la mondialisation, à la géopolitique ainsi qu’à la philosophie politique et sociale. Je travaille actuellement en collaboration avec une équipe du CNRS (Netsuds) sur les conséquences sociétales et économiques des TIC. J'ai   notamment écrit "l’Homme mondial" (1996), "l’Afrique miroir du Monde" (1998), et "La Violence de l’histoire" (2001).

 

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7 février 2015

Brèves pensées sur les événements du Niger

Dix morts sont à déplorer à Niamey et à Zinder. Il ne serait que trop facile d’incriminer Charlie, et encore moins d’y voir pour ce qui me concerne une triste mais perspicace confirmation de mon texte précédent, en particulier de ce paragraphe que je prends la liberté de retranscrire ici :

Pour accepter pleinement (et encore…)  la laïcité, il a  fallu plus d’un siècle à la société française – en gros de 1789 à 1905. En  Grande Bretagne, qui depuis longtemps a l’habitude de faire coexister en son sein des personnes de religions très différentes,  on se garde bien de critiquer les religions (l’équivalent de Charlie Hebdo n’existe pas !) – ce n’est pourtant pas à la Grande Bretagne  qu’on peut donner des leçons de démocratie ! Aux Etats Unis, champions du droit d’expression,  la critique des religions est tout aussi mesurée (ils ont pris d’ailleurs quelque distance avec notre défense passionnée de « Charlie »)… Nous imaginons volontiers (en France) que le monde entier partage nos valeurs et que les populations qui s’insurgent contre les pouvoirs établis, singulièrement dans le monde musulman, le font au nom de notre conception de la laïcité et de la liberté d’expression – il n’en est rien, même si les droits de l’homme progressent malgré tout. Le savoir pourrait nous éviter quelques déconvenues et erreurs de stratégie… 

Il n’était pas difficile d’imaginer, aussi dramatiques qu’aient pu être les circonstances, que les mêmes causes produisant les mêmes effets ou des effets analogues (en histoire, les causalités sont toujours complexes puisque les contextes, presque par définition, sont mouvants et donc différents d’une période à l’autre), la dernière édition du journal satirique allait très probablement allumer de nouveaux incendies.

Il me semble qu’on peut avancer, au risque de déplaire, deux observations.

 

1/  Il n’était pas d’une si grande clairvoyance de réitérer l’expérience et donc de publier une nouvelle caricature du prophète (aussi inoffensive voir émouvante qu’elle fût par ailleurs). Certes les satiristes ne manquaient pas de courage en s’exposant à nouveau aux foudres de terroristes imbéciles et criminels. Mais ils manquaient de discernement voire pire en n’entrevoyant pas que dans un monde interdépendant et transparent – où les informations vont quasi à la vitesse de la lumière mais où le sens de la mesure, l’intelligence et la réflexion ne sont pas les choses du monde les mieux partagées – d’autres avaient quelque chance de payer à leur place. Ci fait : les chrétiens du Niger sont plus que jamais la cible de foules abruties et très certainement manipulées par des pêcheurs en eau trouble – foules d’autant plus abruties et frappées de cécité que lesdits caricaturistes faisaient depuis longtemps profession de foi d’athéisme et qu’ils « mitraillaient » tous azimuts chrétiens comme musulmans !

 Plus que jamais donc la théorie des catastrophes est à l’honneur (si l’on peut dire !) : un phénomène infime peut enclencher de véritables séismes (Pascal : si le nez Cléopâtre avait été plus court…). Le comprendre  avant d’agir est sagesse élémentaire voire altruisme.

Est-ce capitulation que de mesurer les conséquences de nos actes ? Nous voilà embarqués dans un vieux débat éthique. Pour un conséquentialiste la satisfaction de publier les caricatures était peu de choses en face des tempêtes qu’elles risquaient de provoquer. Il fallait donc s’abstenir. Pour un absolutiste (d’inspiration kantienne) nous devons faire ce que nous avons à faire quel qu’en soit le prix : les caricaturistes devaient se battre pour la liberté d’expression (sil le fallait jusqu’au « sacrilège » – du moins perçu comme tel par le plus gros des populations musulmanes) quoiqu’il en coûtât à eux ou à d’autres.  

La position absolutiste ne manque pas de panache et de séduction, et parfois il faudra sans trop finasser se dire : « ce que je fais, c’est bien ou c’est mal ? » – indépendamment de tout contexte. Cette position séduisante ne va tout de même pas sans raideur au point de s’apparenter parfois au fanatisme. Le sens de la mesure (la mediocritas des latins) est d’opposer à la raideur de la logique, qui peut devenir folle – un paranoïaque est logique jusqu’à l’absurde –, le sens de la responsabilité. Ce que je vais faire vaut-il vraiment la souffrance qui risque d’en découler ? Question éminemment éthique que chacun doit se poser, à commencer par les apprentis terroristes – hélas dépourvus de toute bonté et de toute intelligence critique,  intelligence capable de dire non à la logique de la paranoïa et à son absurdité. L’absurde, disait Camus, est le silence déraisonnable du monde en face de l’immensité de l’appel humain…

Constatons avant d’aller plus loin que la philosophie morale n’est pas unidimensionnelle et encore moins mécanique : plusieurs perspectives éthiques sont ouvertes qui conduisent à des conduites différentes.  Et c’est tant mieux : tout acte moral authentique devrait être l’issue, peut-être d’une délibération (Sartre s’inscrirait contre !), mais à coup sûr d’une création personnelle, et donc d’un certain dosage original  d’absolutisme et de conséquentialisme, dont la vertu d’humanité ne devrait jamais être absente.

 

2/  Le mot important vient d’être dit : humain ! Ces énergumènes qui défilent à Karachi ou à Niamey présentent quelque ressemblance avec la fameuse secte des assassins de l’histoire (XIe siècle), drogués par leur chef (Hassan Ibn al-Sabbah) au hachich comme leur nom en persan l’indique (hachichin), afin qu’ils exécutent sans renâcler les crimes qu’il leur ordonnerait. Nos fous furieux, et extrémistes contemporains de tous poils ne sont plus drogués au hachich (ou peu probablement) mais par une propagande hystérique, parfois subtile le plus souvent grossière, qui fait d’eux non plus des humains mais des robots vociférant voire des éradicateurs.

Ce sont évidemment les manipulateurs qu’il faut poursuivre et neutraliser, cette fois quoi qu’il en coûte. Ces manipulateurs sont évidemment malfaisants, mais sont-ils de bonne foi voire intelligents ? Hélas probablement oui – Bin Laden en constitue une trop brillante illustration. Jean Bodin, illustre jurisconsulte du XVI e siècle, reconnu pour son érudition et la finesse de ses analyses juridiques et économiques, est l’auteur d’un traité de démonologie. Or ce traité, à entendre le grand historien anglais Trevor-Roper (De la Réforme aux Lumières) est une insulte à l’intelligence et un ramassis de croyances obscurantistes concernant les sorciers et la sorcellerie…! Les Jean Bodin  hélas pullulent – sans compter que leurs sicaires ont rarement leur intelligence. Enfumés par le maître, ce sont des « robots » disciplinés.

Les robots par définition, et jusqu’à plus informé, sont dépourvus tant de bonté et donc d’humanité que de vrai discernement. Notre véritable humanité réside dans notre capacité de compassion (que beaucoup d’animaux partagent avec nous). Il faut bien avouer que dans certaines circonstances les humains perdent leur humanité pour devenir non des animaux mais des machines malfaisantes. Le plus étonnant, pour ceux qui par profession ou simple intérêt intellectuel ont une idée même imprécise de l’incroyable fonctionnement du cerveau humain, ne peuvent que se dire : mais comment des êtres doués d’une machinerie dont les neurones sont à peu près aussi nombreux que les galaxies de l’univers (100 milliards de neurones, et encore plus de cellules gliales) peuvent-ils manquer à ce point de vigilance, de jugement et tout simplement de compassion ?

Comment est-il possible que ces vociférateurs potentiellement assassins, du Niger ou du Pakistan et d’ailleurs, n’aient pas compris un seul instant que s’il fallait protester c’était non contre quelques pauvres caricaturistes d’un journal sur le déclin, mais bien contre les égorgeurs de l’autoproclamé Etat islamique ou contre les fous furieux de Boko Haram. Le nom de ces derniers prêterait à rire s’il ne s’agissait d’une horde de criminels qui tuent, violent, réduisent en esclavage  et massacrent soi-disant au nom de l’islam des milliers de femmes, de jeunes filles, d’hommes et d’enfants avec une violence qui n’a rien à envier à celle des hordes criminelles qui sévissaient il y a encore peu au Congo « démocratique »…

Nous voilà confrontés à ce qui ressemble pour l’instant à un mystère. Toujours est-il qu’intelligents nous pouvons être inhumains, mais que sans intelligence de l’esprit et du cœur, cela pourrait bien être  pire. Nul besoin en revanche d’être un « lauréat » pour faire preuve de la belle vertu d’humanité. Bien des chrétiens ont été sauvés par des musulmans dont la bonté n’avait été obscurcie ni par les discours de haine ni par les vociférations des PEU PENSANTS. Le Président du Niger, Mahammadou Issoufou n’a pas été en reste : musulman lui-même, il a condamné avec cœur les exactions qu’ont subies les chrétiens autant que l’islam de peu qui les a inspirées. Ce sont eux aussi des JUSTES.

On oublie la grande spiritualité, parfois toute franciscaine, qui fleurit dans l’islam traditionnel. Amadou Hampaté Ba, l’écrivain malien, internationalement reconnu,  racontait l’anecdote suivante : enfant, il suivait à l’école coranique les enseignements du maître Tierno Bokar lorsqu’un petit d’hirondelle tomba de son nid quasi sous les yeux des élèves mais sans que quiconque ne s’en préoccupât. Le maître suspend alors sa leçon et dit : comment pourrais-je continuer à vous enseigner les cent noms de Dieu, alors que vous n’êtes même pas capable du plus petit geste de compassion à l’égard d’une de ses créatures…

Philippe Engelhard

 

 

 

 

 

 

 

 

7 février 2015

Le « 7 janvier » et la suite : cinq réflexions salubres…

1/ Il y a certainement « récupération » ou tentatives de récupération de l’intérieur ou de l’extérieur du plus généreux et du plus désintéressé de ce à quoi nous avons assisté : que l’Arabie saoudite dépêche en France un de ses cheikhs pour manifester à Paris contre les tueurs islamistes ne manque pas de piquant, la présence même de Netanyahou voire celle de premier ministre turc, Hamet Davotuglu,  ne va pas sans lourdes ambiguïtés…  Mais faut-il s’en offusquer ? Déjà au sein même d’une démocratie pluraliste, la récupération est inévitable : chaque faction, chaque parti  a la tentation de tirer un peu la couverture à soi. Une  seule question métrite d’être posée : la résultante de ces récupérations diverses va-t-elle dans le « bon » sens : celui de la liberté de chacun (liberté de conscience, liberté d’expression…) ; celui de l’égalité de toutes les personnes (indépendamment de leur origine) devant la loi, l’Etat et la société ; celui  du respect de chacun et donc celui du devoir de fraternité dont il découle ; celui de la laïcité qui est une conséquence de la liberté et de l’égalité ; celui  enfin de la sécurité de chaque citoyen qui est la première des libertés et le premier des droits ? 

 

Avec du recul, il  dépendra  de chacun d’entre nous que les formidables manifestations du 7 janvier deviennent un nouveau commencement de notre République, figure symbolique d’une société  acceptant sa diversité et donc sa « mondialité » – qui réaffirme, en outre,  que la souveraineté véritable est celle des personnes et non celle d’une religion ou d’une autre, et que cette souveraineté  est indivisible :  ce sont tous  les citoyens qui  sont égaux  et non des communautés ethniques ou religieuses –  que la république ne reconnaît pas, et à juste raison !

 

 

2/ La question qui se pose plus que jamais est de savoir jusqu’où peut aller la  liberté d’expression. Fussions-nous offusqués, disons-le clairement : elle  peut aller jusqu’au blasphème – autrement dit au droit de ridiculiser voire d’insulter une religion ou une idéologie ou une pensée quelle qu’elle soit. C’est une des grandes conquêtes de 1789 – depuis lors,  le blasphème n’est plus  un délit ni  un crime. Voltaire prit la défense – un peu tardivement – d’un jeune homme accusé (de surcroît sans preuves convaincantes) de blasphème et de sacrilège,  et condamné  à un terrible supplice qu’on lui infligea  le 1er juillet 1766 en place publique  – ce fut la fameuse affaire de la Barre. Cette monstruosité fit grand bruit, d’autant que Louis XIV avait interdit qu’on mît à mort quiconque pour cause de blasphème ou de sacrilège… Ajoutons que l’humour et l’ironie sont des armes terribles que redoutent le plus les « totalitaires », les sectaires et fascistes de tous bords : ils en sont par définition totalement dépourvus ; ils savent qu’aucun dogmatisme, fût-il coriace, ne  résiste aux fous rires dévastateurs !

 

Affirmons-le bien haut : aujourd’hui, en France, personne ne peut être inquiété pour avoir blasphémé. C’est un acquis fondamental de notre histoire politique et philosophique, et d’abord de notre droit. Car si le blasphème était pénalement répréhensible cela signifierait que la souveraineté ne serait pas celle du peuple mais d’une religion ou d’une autre, donc que le principe de laïcité serait foulé aux pieds. Est-il besoin de rappeler que c’est ce principe qui assure l’égalité fondamentale des citoyens, car dans une société où l’Etat se prévaut d’une religion particulière, il s’ensuit nécessairement deux types de citoyens : ceux de la religion de l’Etat… et les autres. Ceux qui intentèrent à l’époque un procès à Charlie Hebdo pour ses fameuses caricatures souhaitaient au fond que le journal soit condamné pour blasphème, même si le mot ne fut pas prononcé. Ils en  furent évidemment pour leur frais : ils furent déboutés. Dans notre droit, la liberté d’expression a tout de même des limites, en particulier  l’incitation à la haine raciale, ou encore  des injures graves ou menaces de mort  qui constituent des délits sanctionnés par la loi.  Charly Hebdo n’a jamais été condamné pour ces motifs : les trop fameuses caricatures constituant une impertinence voire plus à l’égard d’une religion ( pour un musulman de stricte obédience la seule représentation du prophète constituant en soi un blasphème), mais non une injure à l’égard d’une personne en particulier, ni une incitation à la haine raciale – encore que la frontière soit parfois assez floue : on peut par exemple se poser la question à propos des spectacles de Dieudonné…

 

 

3/ Cela dit, ce n’est pas parce qu’un comportement  est légal qu’il est opportun ou souhaitable en toutes circonstances. On peut fort bien, c’est mon cas,  ne pas approuver les caricatures violentes de Muhammad  ni le fait de tourner en ridicule  le kaddish, le shabbat… ou le pape – non par respect de l’islam, de la judaïté ou du christianisme en tant que tels, mais de ceux qui y adhèrent de façon pacifique et dans les limites de la loi – ce respect relevant de la simple civilité autant que du devoir de fraternité. Fraternité qui figure, faut-il le rappeler, au fronton de nos institutions au même titre que l’égalité et la liberté (la liberté et l’égalité apparaissent en 1789 dans  la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la fraternité figure en 1790 sur les drapeaux des fédérés lors de la Fête de la Fédération puis comme devise de la deuxième république en 1848).

 

On  rétorquera que le rire permet de prendre quelque recul à l’égard même ce qui nous paraît le plus sacré, et qu’il constitue ainsi une plaisante façon de désamorcer  tous les fanatismes. Ce qui est sans doute vrai, mais faut-il pour autant que ce rire soit offensant voire humiliant ? Le même Voltaire, trop souvent invoqué pour légitimer n’importe quelle impertinence, s’était découvert lors d’une procession (catholique), et à un ami  qui s’en étonnait il eut ce mot : « Dieu et moi nous ne nous fréquentons pas, mais nous nous  respectons. » ! 

 

Cela dit, on doit être prêt à se  battre  afin que chacun puisse exercer son droit d’expression, même  si on n’en approuve pas  certaines manifestations outrancières.  Il est d’ailleurs étrange qu’un « nouveau pacte social » semble devoir  se dessiner sur le fondement d’un irrespect religieux parfaitement légal, mais humainement discutable…  Le meurtre  des  caricaturistes de Charlie Hebdo  n’en est pas moins insupportable et  d’un archaïsme effarant –       au point de donner un caractère quasi surréaliste au fait de discuter a posteriori de l’opportunité ou non des fameuses caricatures. Ceux qui ont commis ces crimes sont des assassins, dépourvus de la moindre compassion,  mais d’abord des esprits faibles qui font injure  à  l’intelligence humaine, à nos principes les plus chers, et pis, qui nous privent de personnes que nous aimons (même si nous ne les approuvions pas toujours…).

 

En fait, deux humanités sont aujourd’hui en conflit : l’une est postérieure aux Lumières

 (les hommes sont souverains et non Dieu), l’autre est antérieure aux Lumières (Dieu est souverain et les hommes doivent être soumis à sa volonté, interprétée par un magister autoproclamé ou non).  Ce combat  sera long et difficile, mais je ne doute pas que  la première l’emportera parce qu’elle est conforme à la raison critique qui finit toujours par triompher même si il y faut beaucoup de temps, et d’un peu de chance.

 

 

4/ Certains  pourraient être  tentés de reprocher aux forces de l’ordre la mort des trois criminels. Je crois qu’on peut répondre ceci : en premier lieu, dans le feu de l’action il était bien difficile de faire la part des choses ; ce qui, importait d’abord c’était la préservation de la vie des otages et de ceux qui menaient l’assaut. En second lieu, demander dans ce même feu de l’action à ceux qui venaient de subir des pertes,  d’exposer leur propre vie pour  préserver celle de criminels avérés eut peut-être été en théorie souhaitable, mais peu réaliste voire indécent.

 

De mémoire d’homme, on n’avait jamais entendu une foule  ovationner des CRS comme ce fut le cas ce fameux dimanche 11 janvier…  après tout ce sont eux ainsi que les policiers et les agents du renseignement qui assurent notre sécurité quotidienne et donc notre liberté autant qu’ils le peuvent –       et s’en sortent plutôt bien puisque le terrorisme islamiste depuis 2001 n’a fait en moyenne, même si c’est encore beaucoup trop, que trois victimes par an (ce qui doit tout de même relativiser la menace et nous garder de la paranoïa collective…). Nous perdons allègrement de vue qu’une société, mais ce serait  vrai de toute organisation (entreprise, administration), n’a quelque chance de survie que si certains acceptent de faire un peu plus voire PLUS que ce que leur dictent leurs simples obligations morales ou professionnelles. Ce PLUS s’appelle ABNEGATION – abnégation dont certains policiers, certains militaires, certains personnels de santé, certains journalistes, certains juges, et des citoyens de tous les jours, donnent encore parfois le bel exemple, fût-ce au péril de leur vie.  

 

 

5/ Les deux frères Kouachi, dont le nom pour le pire pourrait passer à la postérité, ont cru bon d’accompagner leurs meurtres de bruyants Allah akbar. Ils ne mesuraient  pas combien de pareils hurlements étaient non seulement inconvenants mais sur le fond de vrais blasphèmes ! En effet, quelle outrecuidance à se prévaloir d’un Dieu dont le Verbe infini ou le Néant ne se laisse circonscrire par aucune créature ! Que n’ont-ils relu le beau verset 109 de la sourate XVIII : «… si la mer se changeait en encre pour décrire le Verbe de Dieu, la mer faillirait avant d’y parvenir, quand bien même y emploierions-nous une autre mer pareille. »  Mais n’avaient-ils jamais lu sérieusement, et donc avec quelque intelligence, le Coran ?

 

Il va sans dire que ceux qui invoquant la folie assassine des trois énergumènes y associeraient la majorité des musulmans seraient presque aussi pitoyablement ridicules et injustes que ceux dont ils dénoncent les crimes. La tentation islamiste déborde et de loin la simple radicalisation de la tradition musulmane. Pour le comprendre, il faut revoir Lacombe Lucien, le film troublant de Louis Malle, ou encore Un village français. Aux jeunes gens épris d’idéal, ou tout simplement soucieux de se distinguer, toute aventure un tant soit peu exigeante, auréolée du prestige des armes et d’une propagande avantageuse, fera l’affaire : Lucien Lacombe devient milicien, d’autres circonstances auraient pu en faire un résistant. Pour se soustraire à la propagande des sectes – l’autoproclamé califat n’est rien de plus qu’une secte d’assassins fanatiques et horriblement archaïques,  dont certains particulièrement habiles et aguerris -, il faut autre chose qu’une cervelle un peu faible. Il y faut une bonne dose de RAISON CRITIQUE, mais en tout premier lieu  le sens de COMPASSION, autrement dit de la capacité de se mettre à la place de l’autre et de pouvoir partager au moins jusqu’à un certain degré sa souffrance –  sans cette compassion, c’est cette part d’ HUMANITE en chacun de nous qui risque de sombrer.

 

Certains argueront que le Coran n’est pas avare d’imprécations violentes. J’ai bien peur hélas que, de facto ou de jure, ce ne soit le lot des religions monothéistes qui hors du contrôle de l’intelligence critique, de la politique et du droit connaissent la tentation de l’intolérance et de l’inquisition totalitaires… les exemples abondent jusqu’à l’affliction (qu’on se souvienne que les premiers chrétiens à peine réchappés des persécutions impériales  grâce à Constantin, n’eurent de cesse que de pourchasser les païens et de brûler leurs maisons et leurs temples !). Encore une fois, le seul rempart à l’encontre des débordements religieux réside, faut-il le rappeler, dans la séparation des religions et de l’Etat, et donc dans une laïcité éclairée – laïcité qui ne résulte pas en Europe d’une fantaisie idéologique, mais de la nécessité absolue de mettre un terme aux guerres de religion qui l’ont ensanglantée pendant tout le XVIe et le XVIIe siècle (la moitié de la population de l’Europe centrale y laissa la vie).  Tous ceux qui vivent dans notre pays devraient s’en louer :  la laïcité  préserve leur liberté, y compris et d’abord leur liberté de conscience et de culte.

 

Philippe Engelhard

 

 

Remarques complémentaires :

 

1/Que nous le voulions ou non, un Français sur dix est,  du moins par sa famille, de confession musulmane. Or, en islam et dans les sociétés d’origine plus ou moins proche de ces Français, la chose publique et la religion sont le plus souvent confondues – un peu comme si le pape était en même temps l’empereur des croyants. Cette confusion n’est certainement  pas pour rien dans le malaise voire le déchirement des sociétés musulmanes contemporaines ni dans l’explosion de l’extrémisme religieux. Certes, entre le IXe et le XIVe siècle, il y eut de véritables Lumières arabo-musulmanes promues par de grands philosophes (d’ailleurs en conflit quasi permanent avec les théologiens de l’époque) qui furent les précurseurs des Lumières européennes avec quelques siècles d’avance. Mais avec une différence fondamentale : les Ibn Bajja, les Al-FarabÎ, et plus tard les Ibn Rushd (le fameux Averroès) et bien d’autres se sont réfugiés dans l’ésotérisme et la confidentialité par PESSIMISME : ils n’ont jamais cru que le peuple ordinaire pourrait  jamais avoir accès aux Lumières. Ce fut tout le contraire de leurs successeurs européens qui furent d’ardents propagandistes de la liberté et d’abord de la liberté de conscience – les auteurs de l’Encyclopédie sont à un  degré ou un autre les inspirateurs de la Révolution française…

 

 

2/Toujours est-il que l’idée même de moquer la religion est quasi inconcevable dans les sociétés arabo musulmanes contemporaines. Certes, les populations d’origine musulmane vivant en France doivent accepter la critique de la religion – c’est est une dimension  essentielle de notre laïcité. Mais inutile de froisser leur sensibilité et leur culture (au sens anthropologique)  sans aucune nécessité ni productivité – là encore la bienveillance est de mise parce qu’elle ressort de la FRATERNITE   (un des dispositifs essentiels de l’esprit républicain), mais aussi plus prosaïquement de la PEDAGOGIE.  Pour accepter pleinement (et encore…)  la laïcité, il a  fallu plus d’un siècle à la société française –  en gros de 1789 à 1905. En  Grande Bretagne, qui depuis longtemps a l’habitude de faire coexister en son sein des personnes de religions très différentes,  on se garde bien de critiquer les religions (l’équivalent de Charlie Hebdo n’existe pas !) – ce n’est pourtant pas à la Grande Bretagne  qu’on peut donner des leçons de démocratie ! Aux Etats Unis, champions du droit d’expression,  la critique des religions est tout aussi mesurée (ils ont pris d’ailleurs quelque distance avec notre défense passionnée de « Charly »)… Nous imaginons volontiers que le monde entier partage nos valeurs et que les populations qui s’insurgent contre les pouvoirs établis le font au nom de NOTRE CONCEPTION de la laïcité et de la liberté d’expression – il n’en est rien ou peu, même si les Droits de l’homme progressent malgré tout. Le savoir pourrait nous éviter quelques déconvenues et erreurs de stratégie…

 

 

3/ Bref, nous ne devrions jamais transiger sur le principe de  laïcité, qui est d’abord distinction et séparation du spirituel et du temporel ; en revanche nous devrions faire preuve de bienveillance et de pédagogie dans l’exercice de notre liberté d’expression – c’est certainement une condition de la paix civile dans des sociétés pluri religieuses.  Nous pourrons être d’autant plus  inflexibles sur  nos principes fondamentaux  (interdiction de l’excision, du port de la burqa,  des mariages arrangés, de la polygamie,  préservation de la mixité à l’école et dans les tous les lieux publics…) que nous éviterons les froissements de sensibilité, et par contre coup les ressentiments de toutes sortes.

 

 

4/ Certains feront valoir que ce ne sont pas les populations d’accueil qui doivent s’adapter mais les populations allogènes (étant sous entendu que nous n’avons à transiger sur rien) ?

 

Qu’en penser ? L’erreur était à l’origine  d’accueillir, sans vrai discernement ni réflexion ni préparation, des  populations allogènes de culture très différente de la nôtre, souvent d’ailleurs pour répondre à des intérêts de très court terme (besoins de main d’œuvre notamment)…  En effet, lorsqu’une population ressent la possibilité  (même fantasmée) qu’elle ne soit plus majoritaire sur son territoire, elle opère un rejet plus  ou moins violent de la population allogène  – quand bien même cette dernière serait porteuse de jeunesse, d’innovations et d’idées nouvelles. Ce rejet est d’autant plus vif que la culture de la population allogène semble aux yeux  de la population d’accueil en porte à faux avec certains de ses principes jugés essentiels (laïcité, monogamie, exogamie,  mixité, refus du voile intégrale, des mariages arrangés…).

 

 Il reste que quand le vin est tiré, il faut le boire ! Ces populations, peu sensible pour toutes les raisons déjà indiquées à notre tradition de la laïcité et du droit d’expression, sont à « éduquer », que nous le voulions ou non, dans le sens de  notre tradition. Ce sont donc bien elles qui devront s’adapter, in fine. Mais il y faut de la PEDAGOGIE et du TEMPS. Inutile d’en faire des ennemis de l’intérieur par des provocations religieuses contre productives et au fond sans grand intérêt. Encore une fois la Grande Bretagne ne connaît pas l’équivalent de Charly Hebdo –  est-elle pour autant au ban des démocraties ? On peut simplement souhaiter que les populations arabo musulmanes, renouant avec leur propre philosophie des Lumières (celle du Moyen-âge) la parachèvent en engageant une vraie critique de la religion ainsi qu’une réflexion enfin sérieuse sur la laïcité, la liberté et l’égalité. Il vient un moment où plus personne ne pourra se contenter  de bonnes paroles pieuses et faussement conciliatrices…

 

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 Des circonstances tragiques ont fait de « Charly » une véritable icône d’unité et d’enthousiasme patriotique. Saurons-nous maintenir ce sursaut inattendu et prendre les bonnes décisions  – bonnes décisions qui s’imposent en matière d’éducation, de santé, d’urbanisme, d’autorité, de développement économique et d’abord de sécurité – cette dernière incluant une traque sans concession aux ennemis de la démocratie et, au fond, de la plus grande partie de l’humanité visée par leurs paranoïa dévastatrice ? Saurons-nous, enfin, reconquérir, les « territoires perdus » de la République, y compris notre univers carcéral autant délabré que progressivement soumis aux ordres de quelques malfrats ou de quelques  « imams » autoproclamés, le plus souvent ignares… Nos chantiers sont immenses. Ils le sont d’autant plus qu’une part non négligeable de la population française, autochtone celle-là, peu éduquée, autrefois ouvrière et urbaine, aujourd’hui marginalisée dans le repli des campagnes et des petites villes, obsédée par une mondialisation pour une part fantasmatique (dont l’immigration est à ses yeux l’une des composantes inquiétantes) a quitté le Parti communiste (mondialiste par définition) pour le Font National dont l’aggiornamento récent est une réponse probablement opportuniste à leur anxiété…  

 

 

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7 janvier 2015 : trois réflexions sur le terrorisme et le soi-disant islamisme
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